Pour une commande…
Comme cette maison logée dans le rocher, en parfaite entente visuelle, deux dessins vont prendre place face à la mer, perceptible à travers des baies vitrées, presque à 180°. En Corse, les paysages sont ceux d’un monde protégé et les villages semblent authentiques et pétrifiées dans le temps pour vivre en articulation avec la nature, en harmonie.
Immédiateté
Marcher au grand air, nager, pêcher en Corse est merveilleux. Y dessiner aussi. J’ai illustré chaque balade depuis plusieurs années. Dessiner dans le maquis ou dans une crique c’est pouvoir admirer au ralenti la faune, la flore, les panoramas et leur multitude de couleur. Je pratique toujours le dessin « sur le motif » à la manière des impressionnistes et j’arrête le crayon, le feutre, le pinceau sur place quand j’estime le croquis fini. Je ne souhaite jamais y retoucher car ce serait altérer ce premier jet, cette première impression et ce langage de l’immédiateté.
L’attrait naturel
Quand je reviens plusieurs fois dans un même site à quelques années d’intervalles, je suis émue de reconnaître tel ou tel caillou, rocher, massif, cabanon, pin parasol. Je me remets dans l’état d’esprit du premier dessin. Il s’avère que tout a changé du monde vivant mais que les formes du paysage sont disposées et combinées de manière figée dans une sorte d’éternité minérale. Je parcours avec mon œil les lignes de l’horizon et je bute sur les mêmes contours, les mêmes premiers groupes de formes puis au deuxième ou au troisième plan dans le lointain. Je fais toujours une série quasi religieusement au même endroit pour pouvoir garder le meilleur comme nous pratiquons en photographie numérique. Au fil des pages recouvertes, mes doigts de salissent à la mine de plomb et aux aquarelles, les gestes s’accélèrent et je suis en proie au même frisson quand je commence à devenir plus radicale, plus abstraite, plus synthétique. L’endroit se révèle avec encore plus d’émotion. Souvent, je refais spontanément les mêmes perspectives, je conclus les mêmes dessins à peu de choses près. Le trait ne bouge guère et n’évolue pas beaucoup en 30 ans de dessin ! Seules les couleurs et l’échelle, le format, le support, le sens de la feuille évoluent, dépendant aussi de la taille de mon sac de randonnée. Pour la composition en revanche, je suis habituée et je peux me jeter sans canaliser mon imagination picturale, je suis libre et détachée, je n’ai pas peur du résultat…
Rituel
C’est clair, cela pourrait m’être reproché, je reviens toujours au même style de dessin mais avec des relations esthétiques toujours déclinées, revues, rafraîchies, renouvelées. Je m’impose souvent une nouvelle série de gamme colorées, presque aléatoire. J’adopte des couleurs plus acides dans leur ensemble, plus tendres ou plus agressives. Comme dirait Rodin, dans la nature tout est beauté. Idem pour les couleurs. Je m’impose ces changements que j’opére à l’avance, quand je prépare ma trousse. Je teste mes nouveautés que j’achète comme des gourmandises : pointes des feutres, papier ultra léger et ultra blanc. Je décide de m’interdire tel ou tel outil, telle ou telle couleur mais je n’ai pas beaucoup d’autorité avec moi-même, mon surmoi est en vadrouille. Je joue un instant pour avoir la conscience tranquille mais je m’aperçois que je retrouve souvent le même plaisir dans les mêmes habitudes.
Par volonté et par hasard
Même si j’augmente les contraintes comme je le fais avec mes élèves afin qu’il progressent, j’ai la certitude que le sentiment arrive avec une sorte d’ équilibre « bénéfice-risque ». Se forcer à changer et renouveler mes acquis, fuir la répétition puis revenir à des pratiques simples et préférées : tel est l’enjeu. Je lache le trait (jusqu’à la caricature pour les personnages) avec le plus de promptitude possible, pour garder l’essentiel de la lumière, les structures, les pourtours des formes que je traduis en plein et délié par un trait assez « gras », épais. J’ai peut-être inconsciemment ce besoin de l’artiste à vouloir communiquer le côté frappant d’une situation, d’une position… Faire comprendre l’attrait naturel qu’exerce sur moi la beauté d’un endroit, le charme d’une geste, d’une posture.
Métamorphose artistique
Rien de mieux pour donner de la visibilité à mes dessins qu’un beau mur blanc dans une magnifique maison contemporaine, face à la mer. Le trait, la tâche de couleur, la planéité du support, la brillance, tout est parfait même la distance qui permet le recul. Sur un diptyque, j’ai représentée deux portions d’espace esquissées au plus près, des plages et criques aux roches rosées et biscuitées, qui apparaîssent simultanément sur un support panoramique blanc tout plat, disposé légèrement détaché du mur. La magie du lieu opère, la métamorphose artistique a lieu. Il y a une affinité secrète entre mon tableau et la maison. Tout s’unifie calmement et strictement malgré le registre chromatique saturé et contrasté. C’est un rought au feutre, crayonné à la plage, rehaussé in situ avec des aquarelles et des acryliques bleu lagon et rose framboise dégradé avec des ocres saturés, du vert herbe et du jaune citron, du noir et du blanc. Les cailloux sont représentés par des traits « échevelés » et libres mais d’épaisseur homogène. A prendre comme un geste expressif. J’aime bien la force suggestive qui sort de cette mer figurée qui rivalise avec la vraie, en face.