« Les p’tits zarchéologues d’Argouges »… Je publie ce texte de Marie Costes, élève de terminale STD2A promo 2014, qui résume parfaitement un projet qui a permis à de jeunes futurs designers d’emprunter des passerelles entre art et design. Le point de départ est la rencontre avec une compagnie de danse contemporaine grenobloise qui a débouché sur la création d’impromptus (4 danses), relatés sous la forme de vidéo, de dessins, de photographies, de sculptures, d’objets d’arts et de design. Au travers d’un large sujet « prétexte » à de la création « tout azimut » , nous égrenions en équipe élargie de professionnels toutes les nuances, tous les chapitres des référentiels pédagogiques de l’époque où nous profitions des dotations EURÉKA de LA RÉGION RHÔNE-ALPES. Les élèves partaient compétents et rassurés dans la vraie vie, plein d’envie (comme nous les profs, d’ailleurs… ce qui n’est pas négligeable), le carton à dessins plein d’expériences abouties en espace, communication et objets.
« Notre classe de terminale arts appliqués prépare un projet, permis par la région (grâce à son programme SICORRA) d’assez grande envergure. Son titre « les p’tits zarchéologues d’Argouges » (du nom « zarzas » pour les arts_appliqués) est assez explicite : il s’agit d’explorer les strates mémorielles du lycée, notre terrain de jeu, à la manière d’archéologues-artistes : nous prévoyons d’exprimer les lieux explorés grâce au corps, avec la danseuse Thalia Ziliotis, de la troupe de Gallotta (contact hélène Azzaro), un chorégraphe contemporain, qui nous aidera à mettre en place des « impromptus », sortes de petits ballets improvisés selon le lieu. Autour de ceci, nous ferons une série de relevés architecturaux, ce pour quoi Mireille Sicard, de la maison de l’architecture de l’Isère, nous donne quelques références et bases. Nous aurons la possibilité d’utiliser toutes sortes de techniques pour nos compte-rendus, ce qui laisse beaucoup de place à l’initiative personnelle, à notre plus grand bonheur. Pour notre première séance nous effectuons un repérage général des lieux, notant nos impressions et nos ressentis dans le but de concevoir une carte mentale du lycée, présentant les quatre lieux en relations les uns avec les autres.
Notre premier impromptu s’est déroulé dans l’internat, bâtiment initialement conçu par Jean Prouvé, et au dernier stade du chantier de sa rénovation par des architectes contemporains. Nos objectifs sont de mettre en valeur l’architecture profondément humaniste de Prouvé par le corps humain et son mouvement dans un bâtiment, qui est en mouvement lui aussi, puisqu’il se place du côté de l’architecture cinétique, ce mouvement particulier qui semble animer la façade, revêtue de blanc, bleu et noir brillant comme en rappel des bleu-verts de Prouvé. A l’intérieur aussi tout est rythme, en couleurs vives et complémentaires dynamisant la longue travée du couloir typique de l’architecture « poteau-dalle » qui structure l’internat. Dans ce bâtiment destiné à l’habitation, mais encore presque vide de meubles, nos aller-retours ponctués de regards veulent exprimer l’habitation humaine. Nous jouons sur les contrastes entre les zones statiques (les chambres) et dynamiques (le couloir) à l’aide d’apparitions et disparitions soudaines du corps derrière les panneaux des portes. En passant sous les arches on ne peut s’empêcher d’imiter le modulor de Le Corbusier, ayant inspiré Prouvé ; et plus personnellement les aplats de couleur m’inspirent un webdesign en « flat » (ou « plat »), ce style graphique tout de surfaces planes colorées pour mon site : une autre application de principes architecturaux. Pour ceux qui ont fait des relevés, de mesures et couleurs, tout est mouvement également, grâce aux obliques douces des arcades, ou encore aux jeux de rythmes des carreaux de carrelage.
Quelques jours plus tard, c’est le « Grand cadre », une œuvre d’artistes contemporains exposée au lycée, héritière d’une sculpture de Calder qui tenait sa place il y a quelques années. Cette forme métallique elle aussi très colorée, de 6 m de haut; elle sera le théâtre de notre deuxième impromptu. Le cadre vide, visible de très loin, semble vouloir nous montrer un autre aspect du paysage prolétaire de la ville alentours, et replace notre lycée dans son contexte social. Sa forme simple d’ailleurs projète nombre de références, de la fenêtre ouverte sur le monde à l’arrière des portraits de la Renaissance, aux cadre-œuvre de Frida Kahlo qui fut notre sujet l’année dernière. D’emblée nous pensons pour le petit ballet à des jeux de cadrage et hors-cadre, à des percussions sur le métal comme à grimper « s’encadrer » au centre de la sculpture. Une phrase dansée fait son apparition, venue du chorégraphe Jean-Claude Gallotta, et se charge de sens lorsqu’elle est exécutée à plusieurs à la fois : on y voit une tentative de modeler l’espace, une appropriation de l’air ambiant qui amène des questionnements sur les notions de frontière, de cadre / hors cadre. Quant à ceux qui ne dansent pas, ils s’efforcent de saisir par le croquis le mouvement et la dynamique du corps en relation avec la forme statique du cadre. Cette fois aussi, le bilan est au mouvement et aux rythmes ; je me suis intéressée pour ma part aux séquences de petits croquis de mouvements, un préambule de pixilation, pour saisir les étapes du déplacement, équilibre et déséquilibre.
L’étape suivante de notre exploration dansée du lycée nous conduit quelques semaines après, ayant enfin obtenu l’autorisation d’entrer dans la piscine désaffectée. Cet autre bâtiment de Prouvé est inutilisé depuis plusieurs années et est sur le point d’être détruit pour laisser la place à des logements sociaux ; c’est à nous d’en sauvegarder une trace, qui pourra servir plus tard d’archive, comme les photos d’époque que nous avons pu consulté. La piscine, en entrant, s’expose avec évidence dans sa simplicité : un bassin de faïence bleue qui n’est pas sans rappeler la maison de majolique d’Otto Wagner, recouverte elle aussi de faïence colorée en parement pour protéger de l’eau et de la saleté. D’ailleurs, ici le sous-parement est rendu visible par l’usure : le béton armé se dévoile comme structure. Nous dansons au fond du bassin, vêtus de maillots de bains et posant avec manifeste au fond de ce qui nous semble une arène, sociale dans le cadre d’une piscine, où chacun s’exhibe, toute pudeur envolée. Nous exploitons à nouveau la phrase de Gallotta, modelant l’espace et exprimant peut-être le désir de sortir de cette « fosse ». Dans cette ambiance de défilé désespéré, comme du théâtre de l’absurde, le mouvement est toujours là mais ralenti, plus fluide, comme une trace de l’eau qui occupait notre place auparavant. Nous en tirerons une vidéo en pixilation, et pour ma part j’ai essayé d’y faire ressortir l’aspect de l’eau enfermée dans sa piscine.
Nous nous préparons en vue du quatrième et dernier impromptu qui aura pour objet un grand cèdre, vestige d’un parc botanique dont le lycée a conservé quelques traces. Plus nous avançons dans notre projet plus il devient manifeste que les traces du passé sont omniprésentes, bien que peu visibles pour quelqu’un de non averti, et qu’elles modèlent le présent comme nous le faisons avec la phrase pour l’espace (ou l’espace-temps…) Nous nous procurerons des « échantillons » dans une optique scientifique, afin de rendre compte d’une ambiance, mais surtout des différences de matières et de textures, de couleurs, qui pourraient s’avérer très intéressantes, ou même innovantes, dans le domaine du textile. »