Durant plus de 20 ans, Noël Filippi, m’a prêté son expertise de décorateur et donné son amitié de peintre. Manière douce de faire le deuil (sa disparition est récente) j’assure ce mois-ci les visites commentées pour les scolaires et je présente son oeuvre le Dimanche 13 février à 17 h au Belvédère.
J’adresse ces quelques photos à ceux qui m’ont demandé pendant la visite quelles étaient ses oeuvres de jeunesse :
_Agnès Caillat :__
Noël Filippi est né le 23 décembre 1925 dans le village de Medigliano San Vitale en Vénétie. Son père est maçon, sa mère élève leurs six enfants. La famille émigre en France dans les années vingt, à Fontaine. Reçu premier au certificat d’études du canton, Noël poursuit sa scolarité avant d’être renvoyé pour cause… d’italianité. La France est alors en guerre contre l’Italie, Noël se fera naturaliser Français plus tard. Très jeune il dessine et il peint, beaucoup. Mais il doit commencer à gagner sa vie. D’abord vernisseur auprès de son frère Joseph qui est ébéniste, puis maçon, électricien, Noël travaille dur, tout en continuant de peindre. Il découvre ses premières expositions dans les années cinquante, a très vite pour amis de nombreux artistes – comme Mucha, Gilioli, Chatard, Termat, Guichard… –, voyage régulièrement en Italie où il admire tout spécialement Piero della Francesca, Bellini, Mantegna, Giotto…
En 1954 il fait un long séjour en Hollande dans le cadre d’un échange. L’accueil est chaleureux, Noël parcourt avec enthousiasme les musées, rencontre les frères Van Velde, noue de solides amitiés, passe des heures devant les Rembrandt qu’un diplomate lui permet de voir dans des conditions idéales. Noël parlera d’un voyage dans l’absolu, dans l’infini… une révélation… un mystère dévoilé… l’impression qu’un dialogue va s’engager… Il dira aussi « La fréquentation de tels génies peut vous écraser, vous décourager… » Dès son retour pourtant il expose à la galerie André Guilmin. Très vite suivent d’autres expositions : galerie Repellin-Perriot, galerie Parti-Pris, galerie Hebert avec Chatard, Gilioli et Mucha en 1968, galerie du Groupe évolution et Montagne à La Plagne en 1971, Bijougalerie de Jean-Marie Cupillard à Grenoble.
Entre-temps Noël a rencontré Hélène avec qui il a eu deux filles. Par crainte de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille il entame une carrière d’architecte d’intérieur vers quarante ans, et cesse d’exposer. A un journaliste qui lui demande pourquoi, il répond « J’apprends à peindre ! » Toujours insatisfait, dans son atelier, où règne un désordre très ordonné, il livre son combat. Pour lui, la toile n’est jamais achevée, il se voit comme un chercheur, un artisan en chambre. Dans ce combat se mêlent amour et terreur. Noël Filippi n’est pas un peintre tranquille, il tente à la fois de traduire l’inquiétude du peintre devant le monde et, dans son atelier de Saint-Martin-de-la-Cluze voisin de celui de son grand ami Gilioli, en vacances de l’architecture, continue de peindre ses pommes, véritable célébration charnelle. De longues heures de travail dans un jeu de transparences et de matières dont Noël a le secret – un peu sorcier il broie lui-même ses pigments, mélange les colles, les huiles, l’essence, et froisse le papier, et le déchire… Amoureux des jardins il crée le sien à Montbonnot, et c’est une création en effet, d’un univers poétique où le végétal rencontre l’art, et où les amis de passage sont toujours conviés à manger un plat de pâtes – une autre de ses passions. Son atelier au milieu des bambous est une caverne d’Ali Baba. Noël garde tout : bouteilles, boîtes de fromage, cageots, ficelles, papiers… Et il métamorphose tout. D’une bouteille de plastique il fait un Lalique, d’une simple tôle une série de cœurs vibrants, et à travers de vulgaires sacs plastiques il laisse filtrer la lumière violente d’un lustre contemporain. Noël Filippi a toujours été à la recherche de l’émotion, du mouvement, d’un instant de grâce. Dans sa peinture comme dans son jardin, où son amour pour tous les végétaux, fleurs et arbres, les a laissés s’épanouir dans une totale liberté, jamais taillée. Une peinture et un jardin évolutifs, qu’il travaillait peu de temps encore avant de terminer sa vie, riche et rayonnante, le 2 octobre 2010.
»« Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde. » » Albert Camus, Noces.
Visite commentée pour les écoliers de St Martin d’Uriage